La 2ème édition du Mai des Arts s’annonce sous un ciel incertain.
- A 15h, ça va changer avec la marée, disent les initiés sentencieux.
- Oui, mais dans quel sens vont aller ces nuages ? s’affole la girouette, coq du clocher, qui se sent mandatée pour mener leur danse...
Si tu veux être heureux toute ta vie, fais-toi jardinier.
Proverbe chinois
A 14h30, le jardin d’Albert s’ouvre en prélude, ils sont venus les voisins, les amis, et les nuages esquissent une ouverture bienveillante.
Le jardinier de la Cie Les Chercheurs d'Air est affairé : à sauts de bêche il parcourt cet univers cultivé, et prend avec sérieux son rôle de guide :
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La terre, tu l’écoutes jusqu’au bout...
Et il apostrophe les visiteurs timorés :
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Mais enfin, ne restez pas plantés en rangs d’oignons...
Alors on s’avance doucement dans ce jardin tout en surprises, peuplé de NIA, les Nains Invisibles Anonymes :
- Ils se tiennent sous les cailloux noirs, et ils remontent par les choux, avertit notre jardinier.
C’est vrai, je capte le regard attentif d’un NIA au coeur d’un chou pommé, la curiosité manifestée est réciproque. Au dessus, dans une serre, est leur couveuse, veillée par une rangée de livres : du roman « Senteurs de cannelle » de Norah Lofts s’échappent de jeunes pousses de pois de senteurs, les mots vivaces ont pris le pouvoir, germant de l’écrit-terreau de l’humanité.
Volubilis, belles de jour, saxifrages, entremêlent leurs fragrances et couronnent en laurier ces doctes œuvres.
Devant un carré potager, surmonté d’un échafaudage gracile équipé de cordelettes et poulies, le jardinier nous invite à participer à la levée des salades, il avertit :
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Pas trop vite, elles vont monter en graines...
Plus bas, une jeune fille en fleur a éclos parmi les radis, ses orteils ronds, peau rosée, émergent délicatement de cette terre bien noire, dans l’attente de rougir à leur tour dans cet accomplissement qui mène à ce piquant croquant d’une sensualité grisante, avec juste quelques grains de sel et une tartine beurrée... pardon pour cette pensée légère, qui me met le rouge aux joues...
Tout en bas, au bout des rangées de pommes de terre ont fleuri des pensées, collectives mais pas uniques, nous apprend notre guide. Nous sommes invités à en lire, à voix haute
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Une pensée pas partagée est une pensée perdue... se désole le jardinier avant d’attirer notre attention vers une fleur à l’écart des autres, égarée ? Non, c’est la libre pensée.
« Tout changement est un miracle à contempler »... lit un invité.
Une pétanque aux cailloux clôt cette déambulation, interrompue par l’émissaire de Futura 3000 qui veut présenter en catimini un projet fleuron de l’innovation futuriste développant la culture hors sol dans une ferme verticale... sur l’emplacement du jardin d’Albert !
16h16, les 3 coups
Sur le parvis de l’église, Michelle Beuzit, maire de Lannéanou, attend ses invités... qui tardent, et pour cause !
Melle Pilchard, traductrice officielle du Ministère des Affaires Inutiles, Yvon Hervé, président de la Morlaix Communauté, et Julie Fage, adjointe à la culture de Pleyber Christ manquent à l’appel pour la remise officielle des clés... C’est très embarrassant !
Au moment où retentissent les trois coups d’envoi de l’après-midi festive, un klaxon efficace et discret signale leur arrivée... en 2 CV... Ben oui, on peut pas aller plus vite !
Melle Pilchard démarre aussitôt la traduction simultanée du discours de Yannick Besnier, Président de l’Association Des Mordus, et Yvon Hervé lance un « Place à la fête ! » qui ouvre les spectacles.
La Compagnie du deuxième entre en scène, leur premier sketche fait intervenir Jacqueline et Serge, radieux et convaincus en présentant leur recette de « diabolo savoyard », Cocktail en mélange de recettes de terroir et de cuisine moléculaire qui, disent-ils, doivent surprendre et étonner les invités...
C’est une boisson qui se boit chaude,
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à base de limonade, relevant d’une fabrication à la fois naturellement traditionnelle et pourtant chimiquement industrielle,
- d’une pomme de terre d’Oléron à peau noire qui ne livre la saveur de son amertume que poussée dans ses retranchements par une savante manipulation extractive d’une dynamique en action/réaction qui doit décalotter le tubercule avant de le chipser-dorer grâce à un pétard culinaire...
- de fromage de Strasbourg, de veau en façon molleton...
Les mines dubitatives ne freinent pas leur enthousiasme, mais, au moment d’arriver dans la phase de finalisation de ce breuvage, Jacqueline craque, et en sanglots, elle évoque la disparition de leur petit commerce de proximité, leur charcuterie « Au pied de cochon farci », le bonheur qu’ils avaient à tuer le cochon, à fabriquer le boudin, puis désespérée, elle fait part de ses conclusions sur l’impact hormonal du filet mignon sur la libido...
Les rires éclatent, et ceux, comme Jean-Pierre, qui se risqueront à goûter le breuvage se feront repérer dans le public à leur air patraque !
16h 16, Ouverture de L’Ecole Régionale d’Esperanto Gestuel
Elle est attendue cette ouverture, non seulement par curiosité de découvrir ce langage universel qui permet la traduction de toute les langues -sauf la langue de bois- mais aussi parce que cette école, désormais fermée, évoque beaucoup de souvenirs à tous ses anciens élèves, ou même enseignants qui y ont fait leurs premières classes...
L’intempérance des intempéries obligera Melle Pilchard et ses élèves appliqués à se replier dans la salle polyvalente pour laisser place aux Schpouki Rolls. L’effervescence est à son comble, et, pendant que l’on remonte les gradins, les crêpes/café font le plein.
Enfin, l’arrivée de Melle Pilchard et de ses élèves est annoncée, et le public est en délire... Au programme de ces 18 stagiaires, la traduction de phrases extraites d’un « Manuel de Savoir-Vivre » mis à disposition de Bénédicte Pilchard par Michèle Bosseur, co-directrice du Fourneau, experte dans ce domaine de l’éducation.
Depuis la veille, ils répètent inlassablement, patiemment, et avec force fous rires les paroles gestuelles qui composent ce langage, et ils s’appliquent sous les recommandations de leur professeur :
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Je n’aime pas les hippies, Jo, pensez-vous pouvoir faire couper vos cheveux pour demain ?
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On l’appelle le chaud latin... il ressemble à Moustaki, s’esclaffent les collègues...
Ils sont venus des autres communes traversées par les Arts de la Rue, il y a Hervé, Margot de Taulé, Maryvonne de Pleyber-Christ, Grégoire de Morlaix, Nolwen de Plougonven... pour la plupart, ils sont cheville ouvrière de l’association Tilalt -Niger qui œuvre pour financer l’école fraternité à Niamey au Niger. Margot parle de la sauvegarde des chauve souris dans les dunes de Saint Samson, des parcours de randonnées mis en place autour des communes du pays de Morlaix, et ce pique-nique du mercredi soir a des effluves de solidarité et d’humanité... langage solidaire qui ne connaît également pas la langue de bois !
17h 03
La Gouaille et la Diva entrent en scène, sur le parvis de l’église, il pleut.
Un parasol publicitaire d’une boisson américaine bien connue (mais peu appréciée) est réquisitionné pour abriter l’accordéon, et la représentation commence : les voix s’élèvent, la diva chante sa solitude en recherche de l’Amour et de l’amoureux qui en sera l’émanation, la gouaille, réaliste attend l’amour qui se présentera, tout simplement.
Mais voilà qu’il flotte.... la lune se trotte... la princesse aussi... et la pureté de leurs voix mêlées a fêlé le cristal des cieux qui tombe en gouttes de pluie, rideau de verre opalescent qui magnifie le don de soi, offrande aux spectateurs non solubles ou imperméabilisés... Ondes de bonheur... Bravo !
Schpouki Rolls, c ’est un cercle vivant comme une peau... qui fitre quoi ? qui ressent quoi ? Qui est à l’intérieur ? Qui est à l’extérieur ?
Au fil des regards croisés, des bras tendus, des mains qui se frôlent, s’échangent sensations et perceptions qui ramènent à l’intérieur de soi, à l’extérieur de l’autre et réciproquement... Cette patiente esquisse en reflets multipliés, et cette réflexion empreinte d’empathie, me mènent vers ce texte de Paol Keineg :
« ...Aussi vieux et sec qu’un siècle d’échecs, je veux m’asseoir sur les bancs vernis parmi les gens prendre souffle et réconciliation, écarter de ton front une mèche de ronces et m’attarder dans l’énergie de la nuit maternelle faite à nos ressemblances. » (écrit à Morlaix en février 1970)
Françoise
Envoyée spéciale à Lannéanou