FAR de Morlaix - Festival Arts de la Rue édition 2005

De petites gouttes pour faire déborder le FAR
Entretien avec Blandine Deudon, relais-habitants/communication pour le FAR 2005

Quand on accompagne Blandine dans la rue de Brest (à Morlaix), il faut s'attendre à être arrêté à chaque coin de rue. Blandine connaît tout le monde ici : les bistrotiers, le coiffeur, le marchand de chaussure, la boulangère,... Il faut dire que c'est son boulot à Blandine.
Sa mission : diffuser des rumeurs auprès des habitants, repérer des volontaires, identifier les occupants de telle ou telle fenêtre, pister les branchements électriques... Bref, Blandine doit trouver des solutions aux problèmes les plus divers. Ses armes : sa gentillesse, ses sourires, ses indics qui la renseignent et ses formulaires administratifs...
Mais détrompez vous, Blandine n'est pas fonctionnaire de police, ni espionne à la solde d'une quelconque organisation secrète, pas le moins du monde... Blandine travaille pour le Fourneau à la préparation du FAR 2005. Sa fonction : "relais-habitant", d'où ma première question...

...mais qu'est-ce qu'un "relais-habitant" ?
C'est une personne qui fait l'intermédiaire entre les compagnies, le festival et les habitants, une personne qui explique aux gens les projets des compagnies et leurs besoins. C'est en grande partie un travail médiation.

Comment t'y prends-tu lorsque tu vas pour la première fois à la rencontre des habitants ?
J'ai d'abord en tête les demandes techniques des compagnies (branchements électriques, accès à des appartements,...) tout en étant dans une optique d'information. J'essaie de repérer les lieux où les gens se retrouvent. On ne débarque jamais dans un endroit vierge, mais dans un lieu qui a son existence particulière, sa propre façon de fonctionner. Il faut composer avec l'existant. Cela facilite les contacts futurs car les gens me disent : "Ah oui, j'en ai entendu parlé au café, au CCAS [Centre Communal d’Action Sociale],..." Les personnes qui travaillent dans ses lieux nous décodent le territoire sur lequel on est.

Réunion avec des habitants complices
de la cité des Marronniers

Pour le projet de la compagnie Les Chercheurs d'Air à la Cité des Marronniers, c'est un peu différent. car on touche directement à l'habitat privé, en l'occurrence un immeuble entier. Il n'y a pas de structure pour relayer l'information. Le hasard a fait que l'on a rencontré une habitante au pied de l'immeuble à qui on a expliqué le projet et qui a tout de suite accroché. Quelques semaines plus tard, cette même personne organisait une rencontre dans son appartement avec presque tous les habitants de l'immeuble. On s'est alors rendu compte que les gens avait parlé du projet entre eux, et que cela avait créé une relation de voisinage qui n'existait pas avant. Il y a des choses comme ça qui se mettent en marche et nous échappent, et c'est bien comme ça. Finalement, le spectacle est un prétexte à ces rencontres...

En quoi ce travail d'information en amont du festival est-il important ?
C'est important pour que les gens comprennent notre démarche et celle des artistes. Au fur et à mesure, les gens eux-mêmes deviennent les nouveaux relais de l'information, ils font circuler la rumeur...
Au début de ce travail, je n'avais aucune idée de la manière avec laquelle j'allais aborder les gens. Convaincre une personne de prêter son appartement le temps qu'un comédien en descende par la fenêtre, cela me paraissait insurmontable. En fait, cela s'est passé de manière très simple et naturelle. Les gens sont beaucoup moins farouches et timides que l'on croit. Ils sont souvent prêts à faire des tas de choses et ça leur fait même plaisir !

La rue de Brest

Comment conçois-tu la relation entre une programmation de spectacles et ce travail de sensibilisation et d'implication des habitants ?
Je crois qu'on retrouve là un vrai truc de la rue, le vrai sens de jouer dans l'espace public. On a cru à un moment donné qu'il suffisait de jouer en bas de chez les gens pour qu'ils viennent, mais ça ne suffit pas.
Aujourd'hui, la proportion de gens qui n'avaient pas prévu d'aller voir un spectacle, qui tombent dessus par hasard et qui prennent le temps de le regarder est de plus en plus réduite. Il y a une vrai consommation des spectacles de la part du public. Je crois que l'avenir de la relation entre un spectacle et le public se retrouve dans des projets comme ceux de Générik Vapeur, des Chercheurs d'Air ou du Cercle de la Litote,... des compagnies qui intègre dans leur travail une vrai démarche d'intervention dans l'espace public.

Quels résultats espères-tu obtenir au bout de ce travail ?
Eveiller la curiosité artistique de gens qui n'ont pas ou peu d'habitudes culturelles. Leur faire comprendre qu'un artiste est une personne comme les autres, qu'il n'est pas inaccessible, que c'est quelqu'un avec qui l'on peut boire un café et discuter avant ou après son spectacle. Il est question ici de la place de l'artiste et des métiers du spectacle dans notre société.
Mais plus largement, l'objectif est de faire comprendre aux gens que leurs voisins ou le "marginal" qui squatte un coin de trottoir sont des gens accessibles, d'inciter ces gens à mieux se connaître. Mais je suis pas naïve pour autant et je sais qu'on ne changera pas la face du monde, que les gens ne vont pas tout à coup devenir tolérants, ni qu'ils vont prendre un abonnement au théâtre. Il faut prendre tout ça avec beaucoup d'humilité. Ce sont de toutes petites gouttes dans un vaste océan...

Entretien réalisé par Aurélien Marteaux le 13 juillet 2005