Elles
sont trois, montées sur des talons hauts, saucissonnées
dans des tenues affriolantes, le regard barré par un trait
noir. Pas pour protéger leur anonymat mais parce qu'elles
ne valent rien. Depuis quand se soucie-t-on de la vie d'une
pute ? Prisonnières d'un cercle, elles se vendent
dans des poses plus ou moins suggestives, se lavent frénétiquement
le sexe après le boulot, se réconfortent mutuellement...
Les images de ce quotidien sordide, devenues des clichés
par une surexploitation médiatique, s'accumulent,
nous maintiennent dans une relative indifférence loin de
l'enfer.
Jusqu'à ce que l'on aperçoive cette fille qui
racole les larmes aux yeux, un immense sourire lui défigurant
le visage comme une plaie ouverte sur la folie qui la guette. Dès
lors le malaise ne nous quitte plus. |
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« Soy imperfecta » (je suis imparfaite) est
la deuxième
création de Trace(s) en poudre, une jeune compagnie fondée
en 1999 à Aurillac. Inspiré par une documentation fouillée
et par de nombreuses observations ce spectacle dénonce sans
retenue la traite des humains, plus particulièrement la prostitution.
Proche du happening par de nombreux aspects notamment plastiques,
Soy est conçu comme une suite de tableaux impressionnistes
accompagnés
par une bande son percutante. La scénographie, simple
et efficace, épouse
le lieu de la représentation (le parvis d'une église,
une place de marché...) pour en extraire la charge symbolique
et émotionnelle afin d'amincir la frontière entre
la réalité et la fiction. Sans parole, les comédiennes
laissent leur corps s'exprimer dans la mécanique de
l'exploitation avec un engagement poignant. Loin de céder à la
vulgarité, elles incarnent avec pudeur non plus des putains
méprisables juste bonnes à endosser tous les fantasmes et
tous les préjugés, mais des femmes meurtries. Et c'est
peut être cela qui dérange le plus. |
A l’heure où les lois Sarkozy diminuent la visibilité de
la prostitution sans l’éradiquer pour contenter un électorat, « Soy
imperfecta » revêt une dimension salutaire qu’il
est urgent de programmer sous les drapeaux de la République. |
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Textes :
Jérôme Thiébaut
Photos, Vidéo : lefourneau.com
Sons : Pierre Yves, Eileen, Laurent, Benoit
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